Comme je réfléchissais au thème de ce texte, j’ai découvert qu’il paraîtra le dimanche de la Transfiguration. Étrange paradoxe, une image m’est alors violemment revenue en mémoire : une couverture de Charlie hebdo du 13 mars 2019.

Un Christ crucifié y était caricaturé, dans le but de stigmatiser les abus sexuels dans l’Église et le scandaleux silence qui les a trop longtemps couverts. Je me souviens m’être arrêtée, sidérée, devant sa reproduction en grand format au flanc d’un kiosque à journaux. J’étais à la fois choquée, blessée, et admirative du talent iconoclaste de l’illustratrice Coco, rescapée du massacre du 7 janvier 2015. On voit sur cette page un Christ couronné d’épines, un sexe masculin faisant office de long nez et de lourdes paupières qui lui tombent sur les yeux. De part et d’autre de la croix, deux rouleaux annoncent le thème du numéro. D’un côté : « Pédophilie, l’Église… » De l’autre : « …ouvre enfin les yeux ». Le Christ, ayant arraché une de ses mains au clou qui la retenait au bois, soulève d’un doigt sa « paupière » gauche et nous fixe d’un œil effaré.

Oui, l’image est cruellement choquante. Mais ce qu’elle dénonce l’est tout autant. D’ailleurs, il ne devait pas être beau à voir, le Crucifié ! Un passage y fait écho dans Le Maître et Marguerite, le fabuleux roman de Boulgakov : « Yechoua leva alors la tête. Les mouches s’envolèrent en bourdonnant, et l’on vit apparaître un visage aux yeux gonflés, boursoufflé par les morsures, un visage méconnaissable. » Ce n’est pas si loin de la description du prophète Isaïe : « Homme de douleurs, (…), il était pareil à celui devant qui on se voile la face. » « Sujet d’effroi tant son visage était défiguré. (…)En fait, c’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé.» Ainsi que, oserais-je ajouter, le poids inimaginable des péchés du monde  et des nôtres.

Au fond, rien d’étonnant à ce que, pensant à la Transfiguration, je me sois rappelée cette caricature qui évoque – sans l’avoir voulu sans doute –  le serviteur souffrant d’Isaïe. Lorsque Jésus emmène avec lui Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, il leur offre une vision de gloire, qui les prépare – et nous prépare – à vivre le traumatisme de la Passion. Déjà, il leur a annoncé qu’il fallait « que le Fils de l’homme souffre beaucoup ». Bientôt, il les appellera à le suivre au jardin de l’agonie. Puis le visage transfiguré sur le Thabor sera défiguré au Golgotha. Sur mon chemin de carême, j’aimerais garder au cœur ces deux visages pour ne pas oublier que l’un ne va pas sans l’autre. Mais que la face rayonnante du Ressuscité nous attend au matin de Pâques !

 Marie-Hélène D.