Nous venons de vivre une octave de Pâques bien particulière, marquée par le décès du Pape François. Une semaine en miroir de la Semaine Sainte, qui m’a donné de réfléchir sur l’importance de la commémoration. Faire mémoire, ne se trouve-t-il pas au fondement du judaïsme et du christianisme ? N’est-ce pas l’origine des Evangiles : écrire pour fixer la mémoire ? le sens de notre liturgie, et de nos fêtes ? On rappelle souvent que la première prière du peuple de Dieu est « Shmah Israël » Ecoute Israël. Mais qu’est-ce que l’écoute sans la mémoire ? Nous lisons les textes, nous les écoutons. Certes, mais l’évangile de Luc semble nous dire que ce n’est pas suffisant lorsqu’il raconte le manque de mémoire (ou de foi) de Zacharie face à l’ange lui annonçant la grossesse de sa femme. Ce prêtre pourtant « juste devant Dieu », connaissait très bien les Ecritures. Il aurait dû savoir que c’était possible, c’est arrivé à Sarah. Conséquence ? Mutisme temporaire. Ce n’est qu’à la naissance de son fils, qu’il retrouve sa voix pour témoigner, et crier un cantique. Mais alors, comment bien faire mémoire ? Un véritable défi dans un monde marqué par l’immédiateté, la dispersion numérique, l’hyperactivité… Le Triduum nous montre un chemin : en prenant collectivement le temps, un temps long qui nous permette de dépasser le souvenir rapide (ah oui c’est Pâques ! le Pape est mort…) de faire descendre l’information jusqu’au cœur jusqu’à ressentir ce qui s’est joué / se joue ; un effort d’incarnation ; que notre imagination se saisisse des scènes décrites ou rejouées pour que nous les investissions émotionnellement. Il me semble que c’est la visée de la liturgie, des lectures, du lavement des pieds, des chemins de croix, des films, spectacles etc. : nous aider à réactiver la mémoire. Mais l’Eglise nous invite ensuite à témoigner individuellement, alors comment s’y prendre ? Lors d’une retraite en février, le père Henri de Villefranche qui la prêchait nous avait donné un exercice dont je n’avais pas saisi toute la portée : « Ecrivez votre Evangile », « Ecrivez votre Cantique » avait-il dit.
En gros : relecture personnelle de votre histoire et action de grâce pour tout ce que Dieu nous a déjà donné par la prière, sa Parole et les personnes mises sur votre route ! Mon évangile, je ne l’ai pas écrit, mais le pape François y occuperait une place. Sa mort me touche car c’est par la lecture de son encyclique Laudato Si’ que j’ai fait un bond en avant dans ma vie de foi, et me suis engagée en Eglise. En me raccrochant à sa figure à bien des moments quand je me sentais illégitime ou décalée. Son regard sur le monde et les concepts qu’il formulait m’avaient profondément touchée et permis d’unifier ma vie « civile » et ma vie de foi. Par sa simplicité, son ouverture d’esprit, son côté « poil à gratter », sa critique radicale des modes de vies consuméristes, ses mises en gardes contre ce que j’appellerais un certain pharisianisme, replaçant la charité au premier plan, allant aux périphéries, appelant à la paix, à l’accueil, il incarnait et actualisait pour moi l’֤Évangile.
Pour toutes ces raisons je tenais à l’heure de sa mort à faire mémoire de ses mots et gestes qu’il a posés à la suite du Christ. J’espère qu’eux non plus ne passeront pas et se feront Tradition, qu’ils en appelleront d’autres à l’engagement et que sa mort ne nous fera pas abandonner les initiatives de conversion écologique et d’attention aux plus fragiles. Mais qu’au contraire, par toute la terre, nous fassions mémoire, et sortions des tombeaux pour témoigner à notre tour par nos évangiles, à la fois à la suite et en communion avec ceux qui nous ont précédés. Amen
Pauline H