Deux femmes, l’une tout de noir vêtue dans sa tenue de religieuse, l’autre, dans sa célèbre robe noire, simple mais belle. L’une qui a vécu dans le calme d’un couvent en Normandie, l’autre qui a voyagé dans le monde entier. Je parle bien sûr de Thérèse de l’Enfant-Jésus et d’Édith Piaf. Deux femmes grandioses, qui ont touché, chacune à leur manière, le cœur de millions de personnes. Deux histoires différentes, mais qui pourtant, deux histoires qui se rejoindront lorsque, avec les femmes de la maison « du grand 7 », la petite Piaf ira sur la tombe de la petite Thérèse, y retrouvant la vue par l’intercession de la Sainte, qui avait dit, qu’après sa mort, elle ferait tomber une pluie de roses, symbolisant par là les grâces qui seront données par Dieu, par son intercession. Et nous pouvons le dire, Édith a peut-être commencé à avoir la foi en Dieu, à ce moment-là, même si ses prières allaient davantage vers Ste Thérèse. Elle disait : « Entre femmes, on se comprend ».
La petite Thérèse, par sa simplicité, sa foi profonde et son amour pour Dieu, a touché de nombreuses vies. Cherchant Dieu, elle nous a enseigné un chemin vers Dieu, un chemin de sainteté à portée de tous, un chemin d’union à Dieu, à portée de chacun de nous. Elle nous rappelle que même les actions les plus modestes, accomplies avec un cœur pur, rempli d’amour, peuvent être de grands actes d’amour pour notre Créateur, pour Dieu. Voilà ce que nous enseigne la petite Thérèse, qui souhaitait vivre en actes ce magnifique texte, écrit par St Paul, que l’on a entendu, en première lecture, et qu’on appelle « l’hymne à la Charité ». Ste Thérèse avait une prière simple mais qui révèle la profondeur de sa compréhension de la Charité : « J’ai choisi l’amour du Seigneur en chaque chose ordinaire, alors je mettrai tant de cœur à les rendre extraordinaires ». Chez Thérèse de l’Enfant-Jésus : c’est l’Amour et l’Amour seul.
Édith Piaf l’exprimera, à sa manière, en affirmant dans sa chanson : « Sans amour on est rien du tout ». Ses chansons nous parlent de la vie, des aléas de la vie, des peines de la vie, mais surtout de l’amour. Malgré les tourments de la vie, qui ne l’ont pas épargnée dès sa naissance, en passant par les accidents, la mort de son ami Marcel Cerdan, sa vie trop courte avec Théo Sarapo, malgré tout cela, Piaf a continué à chanter avec une passion ardente, exprimant ce qu’elle avait au plus profond de son cœur. « Quand on aime, on a tous les courages », disait-elle. « L’amour supporte tout, l’amour endure tout » nous dit St Paul. Il est vrai que le monde nous propose des recettes de bonheur, qui laissent, bien souvent triste, désemparé, car, hélas, basées sur des joies éphémères, sans profondeur, sans altitude, des joies plates, vides. Mais la joie véritable, comme nous le disions dans le refrain du Psaume, la joie véritable, c’est Dieu. Et que ce soit la prière silencieuse d’une carmélite comme Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus ou la voix puissante d’Édith, ce qu’il y a de commun entre elles, c’est que chacune lance « un cri vers Dieu ». C’est la grande clameur qui s’élève depuis le commencement du monde et qui exprime toujours la même chose : la soif d’absolu de l’être humain, sa soif de grandeur, sa soif de transcendance, sa soif d’un Amour beau, grand et véritable. Cette soif habitait Ste Thérèse comme elle habitait Édith. Cette soif qui peut être nous habite aussi, aujourd’hui Et cet Amour véritable, beau, durable que l’être humain cherche dès son premier souffle, voilà ce que cherchait la Môme tout au long de sa vie et voilà aussi ce que chacun de nous cherche. Bien sûr, l’amour n’est pas sensiblerie, ni question de palpitation cardiaque ou de papillon dans le ventre. L’amour, nous dit St Paul, reprenant le Christ lui-même, l’Amour, c’est se donner. Car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Cet Amour véritable est la Parole même de Dieu, est la vie même du Christ. C’est pourquoi, nous dit l’Évangile : « Heureux, heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent ». Une béatitude qui n’est pas simple à vivre. Mais une béatitude que chaque chrétien, avec ce qu’il est, tente de la vivre pour se rapprocher de Dieu. Voilà, ce qu’à essayer de vivre Edith.
Depuis le début de l’année, en préparant cette journée, je me suis penché sur la vie d’Édith Piaf, et en réécoutant ses chansons, en lisant différents témoignages sur elle, je vois combien sa vie, qui ne fut pas de tout repos, voire cabossée à certains égards, est une recherche de foi et de charité. Cette foi, qu’elle a reçue, ici même, par son baptême, en décembre 1917, là au fond de cette église, dans cette chapelle des saints. Et quand j’ai lu son testament spirituel, on comprend ce qu’a pu être sa vie, en vérité, loin des projecteurs : comme elle le dit : « Cette lettre est plus qu’un testament. Je voudrais qu’elle fasse comprendre qui j’ai été vraiment et pourquoi. Lorsque la maladie vous frôle avec opiniâtreté, lorsqu’on sent, comme je le sens moi, la mort rôder à tout instant, il y a un moment où l’on est obligé de faire le point avec soi-même. ». C’est ainsi que j’ai découvert, à la lecture de ce testament, une vie agitée, remplie de fêtes, de succès et de larmes, qui va de l’apogée de la réussite à l’abandon et à la solitude. Elle dira, alors qu’elle écrit ce testament : « Cette grande maison vide, n’est-elle pas l’image d’une vie déserte, privée du visage de Dieu, et que personne au monde ne remplira jamais ? » Le vide, ce vide que l’être humain tente de remplir avec tout et n’importe quoi, parfois même au détriment de l’autre. Une prise de conscience que l’humanité ferait bien de suivre encore plus aujourd’hui. Et Édith poursuivra son testament en disant : « Mon Dieu, que je regrette aujourd’hui ! Comme je voudrais pouvoir tout recommencer à zéro… A l’âge où on commence à comprendre la vie, à l’âge où l’indulgence remplace la colère, il est trop tard. Il aura vraiment fallu qu’après une vie de tourbillons et de bruit, je me retrouve seule avec mon infirmière dans cette maison de Plascassier, perdue dans les collines, pour que je prenne conscience de tout cela. Comme j’ai changé ! Je retrouve soudain ce besoin de pureté, cette envie de pleurer qui m’envahissait lorsque j’étais une petite fille. Cette envie de poser ma tête contre une épaule amie et de fermer les yeux, et de me reposer enfin. »
Chère Édith, en lisant votre testament, ce qui m’anime, ce n’est pas de la tristesse, au contraire, c’est de l’admiration. Être capable de faire la vérité sur sa vie, être capable de voir ce qui nous manque, être capable de voir ce vide que nous essayons de remplir, on s’y est peut-être mal pris. Quelle est belle cette vie décrite par vous-même, sans tricher et sans excuses ! Qu’il est beau ce visage sans fard que vous nous faites découvrir dans votre testament ! A la fin d’« une vie de tourbillons et de bruit », c’est un cri, qu’Edith lance, c’est un cri de vérité qui sonne juste. Qu’il est beau ce cri vers Dieu et cette demande de miséricorde, cette demande pardon ! Et quant à l’aune de sa vie, on est face à la vérité pour se tourner vers Dieu, dans ce cri de l’homme qui a soif d’Absolu, mais qui reconnaît sa fragilité, c’est alors qu’on entre dans la vraie grandeur, dans la vraie vie. La Sainte Carmélite Thérèse de Lisieux avait compris cela. Elle avait compris que vivre d’Amour, c’est Vivre de Dieu ; que vivre d’Amour, c’est vivre un cœur à cœur avec Dieu, nuit et jour ; que vivre d’Amour ; c’est garder Dieu dans sa vie. C’est ce qui permettra à Ste Thérèse de dire quelques heures avant sa mort : « je ne meurs pas, j’entre dans la vie ». Edith Piaf a sa manière est morte comme une Carmélite : elle a reconnu son besoin et son désir de Dieu.
Et parce que, comme vous le dites si bien, chère Édith : « Dans le ciel, plus de problème, Dieu réunit ceux qui s’aiment », que vous puissiez, à travers cette messe, à travers nos prières, rejoindre ceux que vous avez aimés dans votre vie, ceux qui prient au Ciel pour vous et pour chacun de nous.
Chère Édith, reposez en paix et que cette épaule amie que vous avez cherchée tout au long de votre vie, que cet ami puisse être Dieu, lui-même, lui qui vient combler les désirs de nos cœurs.
Que votre cheminement de vie, chère Edith, soit l’occasion pour chacun de nous, ici présent, de nous interroger sur notre propre vie, sur ce désir que nous avons tous, peut-être d’avoir une vie en rose, mais surtout d’avoir une vie belle, simple et droite, et que nous puissions nous en donner les moyens, à travers cette Eucharistie, en repartant de cette église, dans cette espérance chrétienne, forte de la foi dans le Christ, mort et ressuscité, et qui s’accomplit et se réalise particulièrement dans la charité et l’amour.