A la question « quels sont les premiers signes de civilisation humaine ? », la célèbre anthropologue Margaret Mead n’a répondu ni l’invention du feu, ni celle de l’écriture, ni les peintures rupestres… Elle a simplement dit : « un fémur cassé, puis guéri ». Dans le règne animal, un membre rompu signifie la mort. Mais cette première guérison d’une jambe cassée chez les Hommes suppose qu’une personne, ou un groupe de personnes, est resté pendant de longues semaines auprès du blessé immobilisé, lui apportant nourriture, soins, abri, jusqu’à réparation complète de l’os. Pour elle, c’était ça le premier signe de civilisation. Le sacrifice de soi pour sauver la vie de l’autre.
Quelle leçon tirer ? Tout d’abord, que l’Humanité est une espèce incroyablement collaboratrice, en communication, en communion permanente les uns avec les autres, et c’est profondément ce qui a permis aux Hommes de survivre et se perfectionner ainsi. La relation d’aide, de soutien, de partage, le regard d’amour sur l’Autre sera toujours plus fort que le réflexe égoïste. Ne l’oublions jamais dans ces temps troublés.
Deuxièmement, que l’Humanité, corps du Christ, est composée d’une multitude de blessés. Nous avons tous un os brisé. S’il n’est pas toujours physique, il est souvent psychique, ou spirituel. Nous autres Chrétiens sommes une communauté de boiteux, qui avons conscience de notre fracture. Et notre médecin, nous le connaissons : le Christ lui-même, qui vient à notre chevet, et prend soin de nous au moment où nous sommes laissés sur le bas-côté, dans le fossé, plus morts que vifs.
Oui, mais tout médecin a besoin d’assistants. Qui sont-ils ? Ce sont les prêtres. Les prêtres sont les aides-soignants du Christ. Ils forment une longue chaîne ininterrompue de soignants depuis que Jésus leur a indiqué comment secourir. Certes, ils sont faillibles. Eux aussi sont boiteux, peut-être plus encore que ceux qu’ils aident. Mais ils se souviennent qu’eux aussi, ils ont été soignés. Un homme, un Nazaréen, s’est rendu à leur chevet et leur a prodigué les soins nécessaires pour pouvoir marcher, se redresser, vivre à nouveau. Et ils veulent faire profiter la Terre entière de cette Bonne Nouvelle : tout le monde peut être guéri. Encore faut-il le vouloir, être conscient de sa béance, et vouloir y apposer le baume réparateur du Christ. L’Humanité, à la nuque raide, s’y refuse trop souvent. C’est son libre-arbitre, inviolable. Mais quel dommage ! On ne soigne pas un os cassé tout seul.
Alors, célébrons joyeusement ce dimanche, ensemble, cette première Messe de Jeimer, notre séminariste ordonné prêtre, héritier d’une longue lignée de médecins de l’âme, qui remonte jusqu’au Christ lui-même.
Ludovic K.